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Patrice Fougeray-Ertveld
Poésies en stock
Sur la Butte
On prenait la rue du Mont-Cenis
Que l’on escaladait, marche après marche
Pour arriver rue Saint-Rustique
Aux pieds de la Basilique
Il fallait bien que l’on s’arrache
Pour gagner notre Paradis
Un petit tour parmi les vignes
Et l’on faisait, rue Saint-Vincent
Un salut à la môme Rose
Innocente fille qui repose
Victime d’une rencontre maligne
Dans le carré des indigents.
La-haut, la-haut, à Montmartre
On croisait les ombres
De Bruant, Coûté, Dimey, Rictus
Venus au Lapin à Gilles, pedibus
Chanter de leur Butte les heures sombres
De la Commune Libre, sans toque d’martre
Ils auraient pu aussi, en haut
Hanter l’âme fragile de Dalida
Silhouette éthérée, furtive
Brûlée par les lumières trop vives
De la Place du Tertre à l’Olympia
Des Folies, du Casino et leurs plateaux
En sa mémoire la Complainte
Se mêle aux cris des chalands
Venus mater les gigolettes
Du Moulin de la Galette
Dont les froufrous tournoyants
Du mendiant couvrent les plaintes.
En ce haut lieu de Paname
Les gamins de Poulbot
A l’apparition d’un tricorne
Essoufflé, rouge comme une borne
D’incendie, se trissent au galop
En rires clairs, sans alarme
Et sur les toiles des rapins
A l’huile, à la gouache, au couteau,
Se retrouvent les multiples figures
Sous formes de vives caricatures
De touristes happés par les pinceaux
Aussi racoleurs que les tapins.
Toutes ces ombres crapahutent
Abritant leurs tristes heures
Sous la pâtisserie géante et blanche
Dont la grande ombre se penche
En un geste de Sacré Cœur
Sur les délaissés de la Butte.
Estuaire
Le fleuve large et majestueux
Roule ses eaux en lourdes nappes
Devant lui s’étend l’océan brumeux
Dont la mouvante lumière s’échappe
Du fleuve les eaux tumultueuses
Bues par la large houle
S’y mêlent en volutes boueuses
Englouties par sa vaste goule
L’eau douce s’ensaline
Et dans les profondeurs se perd,
Prend les tons bleu-marine
De l’estuaire, devant elle ouvert.
Noces d’Or
Presque cinquante ans déjà
Et leur amour est là
Encore
Moins celui du corps
Que le sentiment
De s’être aimés vraiment.
Les yeux derrière les carreaux
Sous la dentelle du rideau
Juste à peine soulevée
Ils regardent passer les années
De crainte que ne fuie
Reste de souffle et de vie
En respiration brève
L’espérance du rêve
Léger et cotonneux
Léger et cotonneux
Sous un soleil
D’automne
C’est un ciel toujours bleu
Qui s’émerveille
S’étonne
Et voici que par jeu
Tu n’entends le réveil
Qui sonne
Tu dis « Encore un peu »
Je reprends mon sommeil
Ronchonne
Léger et cotonneux
J’entends à mon oreille
Tu ronronnes
Je sens ce que tu veux
Ta caresse m’émerveille
Luronne
Je l’aime, dit-elle
Je l’aime, dit-elle
Même si parfois sa main
Se fait lourde et qu’elle
S’abat trop fort sur mes reins
Je l’aime, dit-elle
Même s’il est un peu rude
Qu’il jette la vaisselle
Et me traite de pute
Je l’aime, dit-elle
Même s’il est trop jaloux
De mes amies trop belles
Et de leurs faux bijoux
Je l’aime, dit-elle
Même si sa main parfois
Me gifle de façon telle
Que j’en tombe et m’assois
Je l’aime, dit-elle
Même si mes côtes et mes bras
Bleuissent et me rappellent
Que j’en souffre parfois
Je l’aime, dit-elle
Aux flics je leur ai dit
« Que mes amis se mêlent
De leurs affaires ! » merci !
Je l’aime, dit-elle
Mon œil est au beurre noir
Mon rimmel ruisselle
Je ne suis pas belle à voir
Je l’aime, dit-elle
Sa dernière fut si forte
Que je tombe et chancelle
Et qu’il me laisse… Morte.
Je l’aime, disait-elle
Fin d’été
Et voici que l’été
Va bientôt s’achever
Il deviendra « indien »
Avec la Saint-Martin
Si novembre ne gèle
Ni ne blanchit ses ailes
En attendant douceur
Garde un peu de chaleur
Puisqu’en nos cœurs résonne
Une chanson d’automne.
Fil
Un fil de la Vierge, de rosée emperlé,
À la barbe de mon visage
Est venu s’accrocher
Un fil de la Vierge de rosée emperlé
Promène son araignée
Vers d’autres paysages
À la barbe de mon visage
Un fil de la Vierge de rosée emperlé
est venu s’accrocher
Vers d’autres paysages
Un fil de la Vierge de rosée emperlé
promène son araignée
De rosée emperlé un fil de la Vierge
À la barbe de mon visage
Vers d’autres paysages
De rosée emperlé un fil de la Vierge
Promène son araignée
Rosée du matin
Paysage lointain
Araignée vagabonde
Découvrant le monde
Mais au passage
Se colle à mon visage
Se mêlant à ma barbe
Se faufile et s’attarde
Oubliant le lointain
Oubliant son chemin
S’égare dans mon cou
Et se glisse au-dessous
Tandis qu’une pichenette
De ma main, la rejette
Ne gardant emperlée
Qu’une goutte de rosée.
AL Z.
Il ne sait plus
Ce qu’il fait là
Ce qu’il fait là
Il ne sait plus
Pourquoi est- là ?
Il ne sait pas
Pourquoi ? Où ?
Il sait plus
Il ne sait pas
Où se trouve-t-il ? Où ?
Il ne se souvien plus
Lorsqu’il est sorti, là-bas
C’est si loin, il ne sait plus
Il a juste marché
Bras ballants
Il n’a pas regardé
En s’en allant
Juste suivit l’allée
En admirant
Les massifs d’azalées
En avançant
Dehors il n’a rien vu
Ni les jardins
Ni les rues
C’est si lointain !
Depuis combien de jours
Est-il là ?
Depuis combien de jours ?
Il ne sait pas.
Il s’est juste endormi
Appuyé contre un arbre
Là, il s’est endormi
Devenu marbre
Lorsqu’ils l’ont retrouvé
Ils ne l’ont pas sauvé.
Canicule
La pluie se fait attendre
Sur les champs assoiffés
Et l’ombre peut s’étendre
Au soleil de l’été
Les prés ont la jaunisse
Les rus sont desséchés
Mais tous les champs de maïs
Sont très bien aspergés
Été de sécheresse
Qui traîne sa langueur
Et sème la détresse
Sur les massifs en fleurs
Alors que sur les plages
Profitant du soleil
Jouent les enfants sages
Dans les vagues bleu-ciel.
Ce que dit Onan
Masturbe-toi poète
Tes idées viendront mieux
Masturbe-toi, poète
C’est un excellent jeu
Fais donc renaître en toi
Les ondes du plaisir
Fais renaître ta joie
Si tel est ton désir
Imagine l’amour
Et fais-le donc tout seul
Tu n’auras pas toujours
Des partenaires qui veulent
Allez, allez, poète
Masturbe ton esprit
Tu entendras ta tête
Te dire un jour « Merci »
Fais-lui donc rendre gorge
Écris sous sa dictée
Ses cellules regorgent
De grands mots, à petites idées
Quand ta masturbation, poète
Redeviendra stérile
Alors prends ta casquette
Et quitte ce monde servile
Masturbe-toi poète
C’est un excellent jeu
Masturbe-toi poète
Tes idées viendront mieux.
T’aimer
—
Aimer, aimer, aimer,
Tout en toi parle d’aimer
Tes yeux, ta bouche, ton nez
Tes cheveux légèrement ondulés
Tes épaules à la peau bronzée
Tes seins par mes mains caressés
Ton ventre chaud et bombé
Ta tiède toison ombrée
Tes cuisses de soie, ta taille cambrée
Tes jambes fines jusques aux pieds
Tout en toi parle d’aimer
Vivre pour t’aimer
Te le dire et te l’écrire jamais assez
T’aimer, t’aimer, t’aimer
T’étreindre et t’enlacer
Le faire partout sans se lasser
Je ne veux toujours que t’aimer.
Entre deux
—
Entre deux joints
Comme chante Charlebois
On se rejoint
On s’entrevoit
Entre deux portes
Qu’on se rejoigne
Ou peu importe
L’ on s’empoigne
Entre deux mers
Un vin clairet
Pas trop amer
Glisse léger
Entre deux âges
Une vie errante
Pas toujours sage
Ni trop marrante
Entre deux âmes
Aux deux amours
Où l’on s’enflamme
Pour un toujours
Entre deux vies
L’une qu’on rêve
L’autre qu’on vit
Parfois trop brève.
Entre la naissance
Et la mort
Impuissance
Devant le sort
On choisit entre l’un et l’autre
Quoi qu’il en soit
Et si jamais il y a faute
On le garde souvent pour soi
Entre deux maux, dit-on
Il faut choisir le moindre
Et entre deux mots sait-on
Lequel vient le mieux se joindre
Il reste alors en nous
Cet entre deux toujours
Où sans cesse l’on joue
Le devenir des jours
À ce poker menteur
Qui nous bluffe et voit
Trébucher les dés du cœur
De l’âme et de nos choix
Entre deux joints
Avant que tout s’éteigne
Ici l’on se rejoint.
Que l’on s’y étreigne.
—
Tranchée
—
A l’encre noire du rêve
S’épuisent les lendemains
Aux cris de la relève
Se dénouent leurs mains
Et les nuits qui s’achèvent
Sur les jours lointains
Obstinément enlèvent
Aux songes des matins
La beauté bien trop brève
Des espoirs incertains
Et l’ombre noire les crève
Achève leurs destins
Quand l’obus qui s’élève
Tombant sur leur chemin
Des dames aux amours brèves
Et labourant leurs seins
Des mots qui sont leur sève
Hache le parchemin.
L’aube du sixième jour
—
Le soleil de l’aube sur la lande apparaissait.
Les bruyères roses et blanches se teintaient
Du rougeoiement des rayons chargés de bruine
Elles bruissaient longuement sous la brise marine
Une abeille bourdonna, déjà lourde d’un butin odorant
Une mouette s’envola, plongeant vers la mer en criant
bientôt imitée par une foule d’autres, tournoyant et piaillant
Deux jeunes lapins se poursuivaient de pierre en pierre
Ne laissant voir dans les herbes, que leurs blancs derrières
L’un des deux culbuta, vivement assaillit par l’autre
Et tous gaiement, dans le soleil levant se vautrent
Se roulant en bondissant dans l’herbe humide
Sous l’œil d’un goéland, au-dessus d’eux planant, impavide.
Le sifflement d’abord, les figea, oreilles agitées, inquiets
Puis il y eut ce grand bruit, là, tout près d’eux, trop près
L’obus envoya ses éclats et hacha les bruyères
Et hacha les jeunes lapins, tous deux frères
N’ayant en eux qu’une grande soif de fraternel amour
Ils furent les premiers morts de ce sixième jour
Du sixième mois de la mille neuf cents quarantequatrième
Année de l’ère que l’on a dite, chrétienne.
Médisances
—
La rue meurt, d’une rumeur généralisée.
Partie, nul ne sait d’où
De bouche-à-oreille, un peu partout
Elle s’est vitement propagée
Étendant son air malsain
Elle court de porte en porte,
Se glisse telle un cloporte
Jusqu’aux portes des magasins
Les gens sont chez eux cloîtrés
Ne sortant dans la rue
Qu’avec grande retenue
Mais entendent alentour chuchoter
De bigotes alléchées, en viveuses écœurées
Elle ronge tous les corps
Semant inquiétude ou « réconfort »
De père indigné en mère outragée.
Comme un abcès de son pus
La rue s’est de ses passants, vidée
N’osant plus les regards affronter
La populace ne sort plus
Puis, ne reposant sur rien
D’elle-même tombe la rumeur
Mais son empreinte de peur
Désormais marque tout un chacun.
—
YS
Ys, Ys, Ys,
Ys la Bretonne perdue dans les abysses
Ys l’orgueilleuse
Ys défiant les flots de la mer furieuse
L’océan tu narguais
Ys tu te croyais
Protégée par ta baie,
Tes falaises de craie
Mais la mer d’Iroise
Englouti tes ardoises ;
Ta luxure, tes débauches effrénées
Aux mémoires sont restées
Mais rien de ta splendeur
Mais tout de tes erreurs
Les abysses ont tout enlevé
Et tes pêchés lavés
Ys la Gauloise, Ys la Romaine
Ys l la Celte, Ys la toujours vaine
Ys millénaire, Ys restée vivante
Aux cœurs aventureux, Ys toujours présente
L’Atlantique t’a purifiée de tes scandales
Toi dont Ahès, t’a faite sa capitale
En reine débauchée, de tous ses désirs
D’amours et de troubles plaisirs
Tu régnais en maîtresse
Sur la baie et les terres, sans faiblesse
Toi qui sus si fort résister pourtant
Aux multiples assauts, de sombres forbans
Ys la vaillante,
Ys la dolente,
Ys, cité toujours vivante, par-delà le temps,
Ys, morte pourtant
Toi qui toisais de haut l’avenir,
Aujourd’hui ton souvenir
Deviens une légende en somme
Au cœur léger des hommes
Moins punie par les flots dans tes rues
Que par l’oubli, utilement survenu
Et le doute qui pour toujours assomme
Le cœur léger des hommes
Ys, chaque Breton t’emporte en sa giberne
Avecques son drapeau porté toujours en berne
Et comme flotte encore au mât l’hermine d’Anne
Toujours à bout de bras se portera sa flamme
Ys la disparue, cité toujours vivante
Ys de Queffelec, que le poète chante
Dans un sombre roman d’automne
Ys cité Bretonne.
Une lagune en séchant
Apporta un instant
La vision chimérique
D’une cité utopique.
Élucubrations
—
Être assis à sa table,
Lire, effacer, reprendre,
User du crayon tendre,
Composer ou attendre,
Unir certains vocables ;
Besogner l’hémistiche
Rimer oulaisser libre
Agacer toute fibre
Vouloir être félibre
Tendre vers le bout riche.
Irraison née de l’instant,
Oraison de lumière,
Jouant de la matière ;
Naît donc, aube première,
Sur l’âme d’un nouveau chant.
—
—
Constat d’adultère
Tu n’aurais pas dû venir ce soir
Mais tu as mis la voiture en marche
Tu n’aurais pas dû venir ce soir
Mais tu as roulé devant toi
Les phares ont troué la nuit
Devant toi la route
S’et longuement déroulée
Tu n’aurais pas dû venir ce soir
Les arbres couraient vers toi
Vivement
Puis replongeait dans le noir
Après ton passage
Tu n’aurais pas dû venir ce soir
La pluie inondait ton pare-brise
Tes essuie-glace peinaient
Et grinçaient
La buée à peine effacée de la main
Se réinstallait
Le CD terminé le témoin
S’est fait éjecter
Tu n’aurais pas dû venir ce soir
Mais tu as stoppé le moteur
Fermé la portière
Couru sous l’averse
Tu n’aurais pas dû venir ce soir
La fenêtre éclairée
Deux ombres enlacées
Tu n’aurais pas dû venir ce soir
Tu ne pouvais savoir
Tu ne pouvais prévoir
Deux étreintes embrassées
Tu n’aurais pas dû venir ce soir
Et te voici bouleversé
En souffrance
Souffrance qui ne s’apaisera plus
Tu n’aurais pas dû venir ce soir
Voir a tué ton ultime espérance
Tu ne renaîtras plus.
L’une, l’autre
L’une blonde
Très gironde
L’autre brune
Sous la Lune
L’une rousse
Se trémousse
L’autre blanche
Se déhanche
L’une grise
Improvise
L’autre blême
Fait de même
Je les regarde
Et m’attarde
À contempler
Sans trembler
Leurs silhouettes
En esthète
L’une blonde
Très gironde
L’autre brune
Sous la Lune
L’une rousse
Se trémousse
L’autre blanche
Se déhanche
L’une grise
Improvise
L’autre blême
Fait de même
Je les regarde
Et m’attarde
Sur les transports
De leurs corps
Dans cette danse folle
De cabrioles
Suivant leur trépidante ronde
Je m’inonde
De chacun de leurs plaisirs
Sans désir.
L’une blonde
Très gironde
L’autre brune
Sous la Lune
L’une rousse
Se trémousse
L’autre blanche
Se déhanche
L’une grise
Improvise
L’autre blême
Fait de même
Sargasses
Immobile sous le ciel bleu
Le voilier attend la brise
Le soleil brûle les yeux
Fixant l’eau verte et grise
Les voiles pendent flasques
Le long des mâts
Çà et là des lits d’algues
Tachent l’océan plat
L’équipage est soucieux
Navire encalminé
Et guette dans les cieux
Un signe déterminé
Et la nuit est venue
Apportant la fraîcheur
Mais du vent sous la nue
Ce n’est pas encore l’heure
Le calme règne à bord
Sous la nuit étoilée
Peu à peu l’on s’endort
Dans les hamacs toilés
Soudain le capitaine
Sent comme une caresse
Et voici qu’on l’entraîne
Pris dans une tresse
Bâillonné, lié, étouffé
De sa couche enlevé
Cahoté, ballotté, culbuté
Il est à présent soulevé
C’est alors qu’il aperçoit
Chavirant du bastingage
Les yeux grandis d’effroi
Tout son équipage
Envahissant le pont
Gagnant mature et vergues
Fouissant l’entrepont
Des tentacules d’algues
Chacune enserre et porte
L’un de ses marins
Qu ‘en les flots elle emporte
Jusqu’au petit matin
Le jour se lève enfin
Sur la mer plate et brillante
Et le soleil serein
Éblouit l’épave indolente
Les voiles de la goélette
Faseyent entre les vergues
Où se pose une mouette
Égarée sur un reste d’iceberg
Étrange présence d’oiseau et de glace
En cette lointaine latitude
Isolés au milieu des Sargasses
Dans le triangle des Bermudes.
Septième Art
—
Image
Lentement déroulée
Long travelling
Silence des paroles
Film
Noir et blanc
Saccadé
Film
Lent
Silencieux
Film
Dont les images
Seules
Disent l’histoire
Film
Dont on ressort
Comme d’un long rêve
D’un engourdissement
Dans le simple bonheur du regard
Face à la beauté d’un paysage
Film
Lent et fort
Comme la parole du Juste !
—
—
Mélancolie
—
Le soleil brille de tous ses feux
La chaleur nous écrase un peu
L’inaction et la monotonie du jour
Font que je pense à toi, comme toujours.
A toi, si loin de moi
A toi qui comme moi
Regrette que le soleil nous voie
Loin de l’autre et sans joie
Mais à mon retour mes bras t’enlaceront
Mes lèvres t’embrasseront
En ne voyant que toi, près de moi un beau jour
En ne voyant que toi, près de moi, à toujours.
—
—
Comme un pèlerin
—
A la fin de l’hiver
Au début du printemps
Aux premières primevères
Fleurissant dans les champs
Je partirai.
J’irai, sans but, ici et là
J’irai comme au hasard
J’irai, tout le jour, pas à pas
J’irai du matin jusques au soir
J’irai
Sur des routes ne menant nulle part
Sur des chemins perdus
Parmi les bois épars
Loin des sentiers battus
Je marcherai
Ne cherchant rien, ouvrant mon cœur
A ceux qui, dans le monde
Vont et viennent libres et sans peur
Comme va l’éternelle ronde
Je marcherai
Je marcherai dès le matin
Je marcherai bâton en main
Je marcherai rêveur
Je marcherai songeur
Comme un pèlerin.
—
La vie douce
Que près de vous la vie est douce
Lorsqu’avec vous dessus la mousse
Je retrouve la tranquillité des bois
Tandisque que s’éloigne la biche aux abois
Que près de vous la vie est douce
Dès que la forêt devient rousse
Qu’Eole et Phébus se vêtent de la douceur
Du soir arrivant de plus bonne heure
Restons encore sur l’herbe rousse
Que près de vous la vie est douce
Que près de vous la vie est douce
Dès lors que la neige nous pousse
A rester blottis derrière les volets
Bien au chaud près de la cheminée
Mettons du bois sur les chenêts
Que la bise emporte leur fumée
Que près de vous la vie est douce
Lors qu’aux prés l’herbe repousse
Et que reviennent printemps, été
Avec le renouveau de la nature
Dans la grâce et la beauté
Comme l’éphémère dont le vol dure
Juste l’instant d’une clarté
Nimbés d’un amour que rien n’émousse
Que près de vous la vie est douce
—
Jazz
(En écoutant Milt Jackson et Dizzy Gillespie)
Sur le vibraphone
Le marteau hésite
Caresse le métal
Semble chercher le rythme
Tendrement résonne
Sous la frappe de Milt
En un vibrant cristal
S’enchaîne l’algorithme
Des notes qui cymbales
En de vifs mouvements
La trompette coudée
Vibre, chante et pleure
Et la guitare arpège
Et la basse soutient
Et crie la clarinette
De ses balais glissés
Doucement le batteur
Les seconde et allège
En fond le saxo vient
Avec sa voix de tête
Et puis c’est le public
Chantant a cappella
Les mains à contretemps
Mais heureux d’être là
Et puis vient le public
Chaleureux et dansant
Applaudir à sa voix.
Trois
Trois et.. Puis quoi ?
Trois c’est un chiffre
Trois c’est un nombre
Trois c’est… Trois !
Trois… Trois… Trois
Trois canards d’une chanson
Trois jeunes tambours
Trois
Fois trois
Font un panier neuf
C’est une ville, Troie
Non, c’est deux villes Troyes
Trois, Troie, Troyes
Troyes en Champagne
Troie à cheval
Trois
Trois, c’est le ménage éternel
C’est toi, c’est moi et la vie
Trois… Trois… Trois
Carillons
Carillons, carillons,
Vous enchantez mon âme
Carillons, carillons,
Vous bercez de vos charmes
Mon esprit papillon ;
Carillons, carillons,
Entrez par ma fenêtre
Carillons, carillons,
Résonnez en mon être
Emporté par vos sons
Carillons, carillons,
Vous sonnez une fête
Carillons, carillons,
Vous martelez ma tête
Battants à l’unisson
Carillonnez, carillonnez,
Emportez mon esprit
Carillonnez, carillonnez,
Et que vienne l’oubli
Sous vos clairs aiguillons
Carillonnez, carillonnez,
Ô chantants carillons.
—
Drogo des Tartares
Si le regard se perd
En ces brouillards lointains
Embrassant le désert
Si le regard se perd
L’âme encore espère
L’ennemi. C’est en vain
Si le regard se perd
En ces brouillards lointains.
Mais ta vie s’est enfuie
Tu quittes ce matin
Le vieux fort Bastiani
Et ta vie s’est enfuie ;
Vient enfin l’ennemi
Mais pour toi c’est la fin
Car ta vie s’est enfuie
Et tu meurs ce matin.
Pendant que…
Pendant que son mari, au Tour de France
S’échine
Je découvre sous ses atours, de France
L’échine
Pendant que sur la route il monte
En danseuse
Elle me démontre sans honte
Ses talents d’amoureuse
Pendant qu’il grimpe sur une route
Alpine
Elle gobe les gouttes
S’écoulant… Devine !
Pendant que dans l’échappée il se glisse
Avec aplomb
Doucement je fais coulisse
Entre ses mamelons
Pendant qu’il fonce tête baissée
A toute vitesse
Elle me laisse suavement lui caresser
Les fesses
Pendant qu’au sprint intermédiaire
Il joue la gagne de sa vie
Il n’y a plus de barrière
A nos envies
Pendant que dans les Pyrénées
Il fait des montagnes russes
Je franchis sous son périnée
Son col de l’utérus
Pendant que son époux
Rêve de gagner l’étape
Devant l’écran télé, tout doux
On se retape.
Frimas
L’hiver, suivi de sa cours de vente, de froid dur et de neige
S’étend sur la campagne en sa cape d’hermine
Le gel immobilise le torrent et la terre qui, sous les flocons se protège,
Sous le ciel bas et gris, s’écrase et crie famine.
Les rues sont désertées par les passants frileux
Qui se hâtent le soir de retrouver la table
Où l’épouse affairée a mis le pot au feu
Attendant le retour de son homme, après l’étable.
Le chien roux dort vers l’âtre, se chauffant et rêvant
Aux courses dans les herbes embaumées de l’été
Et son ombre dansante, projetée par des flammes de sang
D’or et d’orange, anime le mur, noir de suie et de fumée.
L’homme transit de froid, les mains et les joues rougies
La goutte au nez, engoncé dans son par-dessus noir,
Rentre harassé mais heureux, souriant à l’envie
Du repas qui l’attend, chaud de vie et d’espoir.
Il sourit au printemps qui bientôt sera là
Il sourit aux beaux jours, aux dimanches de soleil,
Il sourit aux enfants, à l’épouse qui sont là,
Il sourit au bonheur des jours jamais pareils.
—
—
—
À tire-d’aile
Sur les chemins, par les vertes vallées
Sur les chemins, par d’étranges contrées
Par les monts, par les vaux, franchissant les ruisseaux
Franchissant les déserts, les mers et les canaux
A travers le ciel clair ou les nues embuées
A travers les éclairs fulgurants des nuées
Bondissante, de rocher en rocher
Frémissante, de clocher en clocher
Au-dessus des toits et des églises
Survolant les bois et les plaines grises
Sans trêve du lever jusques au coucher
Sans que rien jamais puisse l’arrêter
Mon âme vole, vole, à tire-d’aile
Mon âme vole, vole vers celle
Qui l’attend, la-bas, en son pays
Et dont mon cœur s’est épris
Au premier jour du mois de mai
Et que je n’oublierai… Jamais !
Portrait
—
Ta brune chevelure
Que le vent emmêlait
Et tes doux yeux d’azur
Sous tes longs cils de jais
Et ta petite bouche
Avec tes lèvres roses
Et ta joue où se pose
Ma main, touche à touche
Ton corsage s’entrouvre
Joliment et me découvre
Sous le tulle qui la recouvre
Ta poitrine digne du Louvres
Tes jambes fines qu’habillent
Des bas d’un blanc discret
Et ton pied qui sautille
Un impatient menuet
Tout en toi me séduit
Me transporte et m’inquiète
Et mon cœur est en fête
Quand tu es près de lui.
Triste carnaval
—
Pauvre Pierrot que Colombine a délaissé
Tu erres et pleures ton cœur blessé,
De ton amour la mutine s’est lassé
Et tu dois le ranger parmi les choses du passé
Ton carnaval s’est fini et tes pleurs,
Se mêlant aux éclats des rieurs,
Détonent. Tu traînes ton malheur
Au milieu d’une foule en bonheur
Cette foule, indifférente à ton chagrin,
Te bousculant et t’entraînant sur son chemin,
Ne te voie pas. Une marquise, venue prendre ta main
Te fit danser, tourbillonner, mais en vain
Tu espères Colombine et tu lui cries « Reviens
Loin de ton cœur, mon pauvre cœur n’est plus rien
Il ne vivait, ne subsistait que près du tien
Il ne croyait qu’en ton amour et qu’en le sien. »
Et sur les planches noircies du canal
Dont l’eau noire et triste noie et avale
Les rêves bleus et éphémères du carnaval
Pierrot voit en un croissant ovale
La Lune blême qui reflète les palais de Venise
Dans la lagune et lui jette comme une promise
Ouvrant de ses doigts fins et légers sa chemise
Une œillade et l’appelle pour une tendre bise
Et pour se percher sur le croissant
Pierrot dans l’eau sombre descend
Alors la Lune très tendrement, tout doucement,
L’emporte dans son firmament
Inondation
La rivière envahit les prairies
Montant vers les haies
Enlaçant tendrement les saules
Dont les larmes coulent jusqu’aux flots
Et la mare voisine,
Joint ses eaux glauques à celles du ruisseau,
Gagne le ru entre les joncs et frôle
Les hautes marches protégeant les maies
Où se conserve le pain de la métairie,
Libre, l’eau part en voyage,
Bras dessus, bras dessous
Avec la grande rivière voisine
Isolant des villages
Bousculant champs et vignes
Elle monte vers les étages
Des plus proches maisons
Où se dépose sa fange.
Elle trace sa voie en une ligne
Désolante, sur les murs maculés
Comme au travers des blés
Et change tout à coup
Le doux ruisseau ombragé
En de violents remous
Venant tout ravager.
Plénitude
—
Par une nuit sans lune
Sous un ciel sans étoile
Cette nuit où la brune
Déployait tous ses voiles
Nous marchions à pas lents
Côte à côte, intimidés
Nous allions, errants.
(Mais le jour a chassé
Ce délicieux moment).
Ses longs cheveux flottaient
Sur ses rondes épaules
Tendre, elle me souriait.
Un moment sa tête frôle
Mes cheveux ébouriffés
Emmêlés par le vent.
Et dans le noir, doucement
Elle fredonne un chantant
Un doux chant de l’amour
Sa voix s’élève grêle
Murmurant pêle-mêle
« Et puis il y a l’amour
Avec au creux de l’âme
Cette boule indécise
Sous la brume flottante
Du tendre souvenir,
L’étoile imprécise attire
Hors de son orbite
Le cœur météorite
Et le vent rend tremblantes
Des notes suaves et douces
Où l’âme va se poser
Comme sur une mousse. »
Et doucement sa maintenant
Venue prendre la mienne
Sur la mousse un moment
Lentement nous entraîne
A regarder le ciel et
Dans le firmament rechercher
Lointaine et incertaine
Filante et indécise
L’étoile imprécise.
Les Monts
—
Les monts qu’escaladent
Une route tordue
Une forêt de pins
De chênes et de bouleaux,
Dominent ma vallée
Ils lancent une bravade
Aux tempêtes venues
Du ciel hier serein
Quand le vent fouette les hauts
Les monts protègent ma vallée
Essouffle-toi, vent furibond
Pour arracher quelques bouleaux,
Pluie violente, grossis les ruisseaux
Noie les prairies et les ajoncs
Les monts gardent bien mon hameau
Quand le soleil réchauffe l’air
De ses rayons et que l’eau file
Dans les roches, vive et agile,
Murmurante, fraîche et claire
Les monts abreuvent les troupeaux
Loin du clocher et loin du maire
Quand l’herbe tendre déshabille
Le doux corps amoureux des filles
Sous l’œil de l’aigle quittant son aire
Les monts abritent les idylles.
Rêve ?
—
— Et puis tu es venue
Vers moi tu t’es avancée
Et je te voyais nue
Tes longs cheveux dorés
Retombant sur tes hanches
Tu flottais
Une aura rendait flou
Tout ce qui t’entourait
Tes deux bras d’un blanc dous
D’eux-mêmes s’entrouvraient
Et parmi les pervenches
Tu flottais
Ta longue silhouette
Liane fascinante
Parmi le cri des mouettes
S’avançait ondulantes
Portée par le ressac
Tu flottais
Tu flottais et ton corps
Se rapprochait de moi
Se soudait à mon corps
Et lui donnait sa foi
Et là, près d’une flaque
L’on s’aimait
Et sur le sable découvert
Ingénument nue
Merveilleusement nue
Près de mon livre ouvert
Impudiquement nue
Tu dormais.
—
—
—
—
Brume
—
— Octobre empourpre la forêt
Que la rosée emperle
Les cèpes et chanterelles
Dansent sous les futaies
Des rondes ensorcelées
La brume rend le jour plus court,
Enveloppe la campagne engourdie par le froid
Le ciel gris frôle les toits
De ses nuages lourds
Se mêlant aux fumées
Le vent bouscule les feuilles
Colorées par l’automne,
Détachées, elles tourbillonnent,
De la branche font leur deuil,
Et sur l’herbe se déposent
Elles viennent protéger
Plates-bandes et jardins
Quand la brume au matin
Répands sur le gravier
Les pétales des roses
—
Il sculptait le sable
Et la vague en glissant
A emporté ton âme
Séléné en rêvant
Vis vaciller sa flamme
Elle brillait douce et tranquille
Ses rayons dansant sur la houle docile
Chaque vague dont le diamant brille
Emporte son lambeau de l’étoffe fragile
De tes rêves, en fuyant
Ton cœur indéchiffré
De ta peau en roulant
Ton corps toujours hâlé
Et la vague en glissant
Ton âme a emporté
Âme angoissée
Meurtrie par chaque instant
Âme libérée
Ravie par le néant
Et la vague en glissant
Sur le sable doré
De tous les écorchements
De ton âme, t’as libéré.
Peintre, sculpteur de sable
Amar au pinceau vibré
Redeviens l’indéfinissable
Transcende un instant
Irréel et imprégné
De ton obscure clarté.
—
—
Nocturne
La ville s’est endormie
Au creux de son grand lit de nuit
Pas un nuage dans le ciel
Dormez, car la lune veille
Elle surveille ses brebis
Comme une bergère aguerrie
Et tandis que tout sommeille
La chouette bat le réveil
Du grand duc et du chat huant
De la fouine et du furet
Pendant que le renard patient
Guette la proie qu’au jour levant
Ses petits gourmands et luttant
Avaleront, déjà gourmets !
été
Dans la campagne somnolente,
Nul bruit ne trouble la sieste.
Une chaleur écrasante
Rends lourd et pénible tout geste
Sur la plaine ondoyante
De légers tourbillons lancent
À l’assaut des nues vibrantes
Les fétus de paille qui dansent
Les chiens, langue pendante,
Dorment à l’ombre des maisons
Un chat à l’échine battante
Fait sa toilette, sans façon.
Seuls, d’un bois proche nous viennent
Les chants des oiseaux baignés d’ombres,
Et le coucou lance en antienne
Sa chanson monotone et sombre
Soutenue par le roulement des chênes
Dont le vent anime les ombres
Et heurte le sommet des frênes,
En frissonnant dans la pénombre.
Ballade du soleil levant
—
Le soleil paraît, triomphant
Il a chassé la nuit froide
Et obscure, la nuit hostile.
Le coq le salue de son chant
Assouplissant, ailes roides
De froid et pattes agiles.
L’aurore inonde alors le ciel
Gloire à la journée nouvelle !
Le rose, le vert, le rouge
Et le jaune, fondus, mêlés
Comme en un pastel mordoraient
La campagne. Nul ne bouge.
Une brume monte des prés
Au*-dessus des hautes futaies
Légère comme une aile.
Gloire à la journée nouvelle !
Les saules semblent des géants,
Semblent de fantômes feuillus
Frissonnant sous une brise.
D’un proche buisson part un chant,
C’est un petit pinson joufflu,
Que la fraîche aurore grise,
Qui lance sa note grèle,
Gloire à la journée nouvelle !
Envoi
Le chardonneret si frêle
La douce grive et le pinson
Partout diront et chanteront :
Gloire à la journée nouvelle !
Le vol du vieux hibou
Les néons éclatants
Illuminaient la rue
Et les pavés luisants
Rappelaient l’eau des nues
Une lune blafarde
Que des nuages lourds
Laissant traîner leurs hardes
Nous masquaient tour à tour
Dispensait sa clarté
Sur la ville et les gens.
Un hibou effaré
S’envola, hululant.
Que faisait-il donc là ?
Égaré, fuyait-il
Un quelconque grabat
De magicien sénile ?
La lumière l’éblouit
Il s’affole, monte
Vers l’abri de la nuit
Qui cachera sa honte
Mais la lumière suit
Ses ailes plus lourdes,
Il recherche la nuit,
Mais la nuit est sourde
Un arbre éblouissant
En son sein l’accueille,
Ami le protégeant
De l’abri de ses feuilles
Et le hibou lassé
Un instant réfléchi
À tous ses jours passés
À ce que fût sa vie.
Il naquit en forêt
Mais la ville vint saisir
Le pays qu’il aimait
Alors, il dut partir !
Pourtant devenu vieux
Il a voulu revoir
La forêt de ses jeux
Pour dernier au-revoir.
Avant de s’éloigner
Vers des rivages noirs
Il avait décidé
De partir dès ce soir.
D’abord épouvanté
Par tant et tant de feux
Il voulut retourner
Mais revint en ces lieux
Et surmontant sa peur
Il a pris son essor
Et vola jusqu’au cœur
De l’horrible condor
Il ne reconnaît pas
Sa natale forêt
Il ne reconnaît pas
Les doux lieux qu’il aimait
Que des hommes virils
Cultivaient, moissonnaient.
Et la grande ville
Pauvre moisson d’étais,
Envahit maintenant
Bosquets, prés et futaies.
Le béton goulûment
Chaque jour les prenait.
Alors, le vieux hibou
Ne reconnaissant rien
Éblouis, rendu soûl
De lumières et chagrins
Heurtant un réverbère
Choit… La Lune pâle
Doucement éclaire
Un vieux hibou qui râle.
Intimité
Un manteau blanc a recouvert la campagne
Et le vent du nord vient égayer nos carreaux
De ses sculptures de givre. Sous nos rideaux,
Vois, ses arabesques voilent la campagne.
Elle me répond : « Moi, je pense aux gens en pagne
Qui n’ont ni froid, ni bise, ni le givre aux carreaux
Et qui sous leur soleil ignorent comme c’est beau
Lorsque la neige recouvre la campagne
De courir et glisser dans le vent et le froid,
De pouvoir en rentrant se réchauffer les doigts
À la flamme d’un feu de cheminée ;
Puis, quand vient le soir, dans une ombre naissante,
Blottis l’un contre l’autre, face à la flambée
D’admirer le ballet de ses flammes ardentes. »
Les esprits de la nuit
Écarte devant toi
Les ombres de la nuit
Une clarté nouvelle
Auréole ton ennui
Écarte devant toi
Tes cheveux étincelles
Les ombres de la nuit
T’accompagnent en tes veilles
Écarte devant toi
Les longs fils de la soie
Tes cheveux étincelles
Se parfument à leurs voix
Ramène par-devers toi
Et en ton cœur l’amour
Les longs fils de la soie
En ont tracé le cours
Suis la nuit
Suis toujours
Et la nuit
Et l’amour.
Vision ésotérique
Tout au long des matins
Ma mémoire s’en va
Portant dans ses mains
Entrouvertes les éclats
D’une semence ésotérique
Sur une palissade, clouée
Une femme dont le sens la supplique
A sur ses épaules, la tête penchée ;
Ses ailes blanches de chauve-souris
Se sont ensanglantées.
Sa bouche mi-close, gémit
Doucement et sa poitrine
Imperceptiblement se soulève.
Et tandis que ruisselle une petite bruine,
Une auréole de papillons de nuit
L’enserre comme en un rêve.
La Vie me mène
Je ne peux la guider
Je ne peux l’arrêter
La vie me mène
La vie me mène
Je ne peux m’arrêter
Je ne peux la guider
Et ne sais où je m’en vais.
La vie m’a pris par la main
Pour me guider en son domaine
Semant d’embûches mon chemin
Elle m’attire et m’entraîne
Elle m’a montré ses paysages
Elle m’a désigné ses amis
Et leurs fervents hommages
Bien qu’elle se joue de leurs envies
Je ne peux la guider
Je ne peux l’arrêter
La vie me mène
La vie me mène
Je ne peux m’arrêter
Je ne peux la guider
Et ne sais où je m’en vais.
Elle suscite de grands espoirs
Pour les faire disparaître
Montre que tout est illusoire
Et qu’on ne peut la méconnaître
Je la suis, avec elle je chemine
Malgré tout ses pièges, ses pavés
Elle me retient et me fascine
Et d’elle, je ne puis me priver.
Je ne peux la guider
Je ne peux l’arrêter
La vie me mène
La vie me mène
Je ne peux m’arrêter
Je ne peux la guider
Et ne sais où je m’en vais.
Courtes Lignes
I
Ombre et lumière
Pluie et soleil
Ombre et lumière
Voici l’éveil
II
Les flammes s’élevaient
Haut dans la nuit
Éclataient
Rugissantes
En étincelles luminescentes
Irradiaient le sol absent
Lors que la nuit descend
Allumant la clarté
Des astres oubliés
En ronde d’enfant
D’une nuit de St Jean.
III
Verre blanc
Verre étroit
Verre aimant
Verre sans joie
Verre solitaire
Verre ô vain
Verre austère
Verre en main
Verre en plus
Verre léger
Verre si Russe
Verre brisé
IV
Bruissement dans les feuilles
Brusquement tout s’effeuille
Ô Marguerite !
Doux espoir
Cher tourment de mes nuits solitaires
Dévoile les lascives images
Du tendre corps aux formes peu sages
Chamboulant le lit voluptuaire
Tes blonds cheveux mi-longs, coiffe claire,
T’auréolent. Tes seins nus engagent
La main à en suivre, sans ambages
Les courbes dignes du statuaire ;
Tes hanches se dessinent en lignes
Souples, larges, se creusent, désignent
L’enivrante source, val foisonnant ;
Tu cries l’amour en toi reçut, le mords
Te blottis contre ton bel amant
Et quand vient le jour, en ses bras t’endors.
Amusettes
I
Soleil brillant,
Ruisseau chantant,
Pré verdissant
Vagabond errant ;
II
Oiseau peureux,
Ciel nuageux,
Temps orageux,
Homme heureux ;
III
Hirondelles volent,
Tracent paraboles,
Dansent farandoles,
Douces paroles ;
IV
Œil rigolard
Et chants paillards,
Casse guitare…
Il est trop tard.
Pluie
La vitre tachée de pluie
S’illumine d’arc-en-ciel
Et les gouttes éclatées
Étalent leurs pseudopodes
S’absorbent mutuellement
Et couvrent le carreau
La vitesse du train les faisant
Ruisseler hors du châssis vitré.
Rencontre
Ton cœur perdu
Gisait dans le ruisseau
Je l’ai ramassé
Je l’ai réchauffé
Entre mes mains ;
Il s’est mis à vibrer
Et ses battements
Ont réveillé mon cœur qui
Depuis si longtemps
S’était endormi.
—
—
—
—
Chambord
Il court
Ses sabots écrasent l’herbe
Libérant ses parfums et ses sucs
Il court
Ses bois arrachent les feuilles
Brisent les branches frêles
Il court
La sueur sur son corps ruisselle
Pique et aveugle ses yeux injectés
Il court
Sa peau griffées par les ronces
Se colore d’un sang rouge sombre
Il court
A ses lèvres l’écume mousseuse s’étend
Blanche, elle s’échappe, le long du cou
Il court
Dans sa poitrine, son cœur enfle
Il bat de plus en plus vite, de plus en plus fort
Il court.
Trois fois déjà il a dû faire face
Acculé par les chiens de la meute
Il court
Trois fois ses bois acérés
Ont troue la gorge d’un chien
Il court
Avec dans les oreilles le bruit du vent
Les appels répétés et sourds de la trompe
Il court
Une fois encore les abois se rapprochent
Une fois encore, d’un bond, il franchit le ruisseau
Il court
Son galop devient lourd aux jarrets
Que les mâchoires des chiens ont tenté de briser
Il court
Son ventre lacéré porte le même rouge
Que les vestes sanglantes des cavaliers
Le même rouge sanglant des hardis poursuivants
Il court
Et devant lui, salvateur, le lac
Où il plonge pour perdre les chiens.
Déjà la meute est là, à ses jambes s’accroche
Les chiens tirent l’arrière
Sa postérieure meurtrie
Bloquent son élan.
Il tentes une ruade, une dernière volte furieuse
Encore une fois faire face
Encore une fois lutter
Et dans sa gorge il sent
Que s’enfoncent des crocs
Un appel de la trompe, la meute se retire, assoiffée de sang
Eux sont là, montés sur leurs chevaux
Avec leurs vestes rouges
Riant, s’appelant, cornant, ils lèvent leurs fusils
Et dix coups de feu claquent
Dans l’eau devenue sang, le cerf s’est affaissé.
On a tiré de l’eau son corps, pitoyable cadavre
Et découpé ses membres pour en faire des cuissots
Sa tête deviendra un poussiéreux trophée
Ornant le mur crépi d’un pavillon de chasse
Sur la grève, les chiens se ruent à la curée
Dévorant ses entrailles de leurs mufles de sang
Tripes éparpillées, viscères fumantes
A l’ombre du blanc château
Ainsi mourût Bambi.
Jeux d’ombres
Et l’ombre peu à peu s’étend
Descends et tombe sur mon cœur
Lors sourdement s’y introduit
Loin de tes yeux, brillante lumière
Ombre envahissante, lentement
L’âme s’en imprègne, douceur
Gagnée par la nausée de l’absence, infini,
Loin de ta parole clarté, si fière
Ombre paralysante
Au souvenir présent, constante douleur
Portée au ventre transpercé, puni
Loin de ton corps-illumination d’avant, hier.
Deux variations sur Lafontaine
I. L’île de la tortue
R Igodon endiablé
I Liens toujours plus
E Frayés par les
N Avires fantômes
N Ul jamais ne les vis
E Tranges et silencieux
S Padassins sans étendards
E Au couvertes de leurs
RiRes, rumeurs fantasques
TêTes empreintes de
D Ivinations folles
E Rrances de farfadets
C Ataractes de frayeurs
O Ppressante et langoureuses
UtOpies en cascades ;
R Igodons endiablés
I Nstantanéments figés par les
RéTiaires du temps.
II. Lièvre velléitaire
R Isibles sont les
E Nseignes du Temps aux
N Ecropoles obscures
S Erties de brûmes
ReTombantes
D Esirs sans fin de
C Ombats oniriques
U Rgence des
I Rréalités
I Llusion des victoires
F Atales aux semences
U Térines
P Arcours toujours plus
RaTionnels et pourtant
I Rraisonnés des
A Pôtres demandant à
O Indre des fronts
NaTurellement saints.
J’ai rêvé de Toi
Et puis tu es venue
Tu t’es avancée
Nues
Tes longs cheveux dorés
Retombant sur tes hanches
Tu flottais
Ton aura rendait flou
Tout ce qui t’entourait
Tes bras d’un blanc doux
D’eux-mêmes s’entrouvraient
Nimbée de pervenches
Tu flottais
Ta longue silhouette
Liane fascinante
Parmi le cri des mouettes
Avançait ondulante
Portée par le ressac
Tu flottais
Tu flottais et ton corps
Se rapprochait de moi
Se soudait à mon corps
Pour lui donner sa foi
Et là, près d’une flaque
Je t’aimais
Impudiquement nue
Ingénument nue
Merveilleusement nue
Tu dormais.
Faux semblant
En rubans, en dentelles
Elle m’apparaissait
Et je la voyais telle
Que mon cœur la naissait
Et c’était son image
Elle avait la clarté
Je savais son passage
J’en puisais la beauté
Amour je la nommais
Elle en aurait le don
Amour l’on s’étonnait
Car elle était démon.
Eden
Eve
Rêve
S’éveille
Et au ciel regarde
Cheminer la harde
Des blancs alto-stratus
Et des légers cirrus
Se mêlant à l’azur
Eve
Rêve
A l’ombre
D’un grand rouvre
Dont la sombre
Nuit recouvre
En la lumière d’été
La brune nudité
De son corps mûr
Eve
Rêve
A ses pieds le torrent
Du gazon en murmures
Dissimule l’eau pure
D’un filet ruisselant
Et sa claire fraîcheur
Eve
Rêve
Ses doigts lentement glissent
Caressent de la main
La pointe dressée d’un sein
La soie tendre des cuisses
Vers l’intime chaleur.
Eve
Rêve
Elle imagine Adam
Non loin d’elle lové
Lentement s’étirer
Et glisser en rampant
Le long de son corps nu
Eve
Rêve
Qu’il ceinture ses hanches
Fortes, douces et blanches
Sur ses lèvres livides
Sa tendre langue bifide
Ose un baiser rendu.
Clairs matins
Aube
Clarté de l’aube
Lumière de l’aube
Luminosité e l’aube
Brillance de l’aube
Éclatement
Jaillissement du soleil
Jour.
—
—
—
—
—
Aurore
La pluie s’écoule par les rues
Le vent pousse les détritus
D’une ville endormie
Fin de nuit
La tempête avive le souvenir
D’heures passées sans dormir.
Trop loin de la mer pour entendre les flots
Il ne reste qu’une page où s’inscrivent les mots
Queffelec y raconte le naufrage aux abysses
De la fastueuse cité d’Ys
La nuit s’achève sur plus d’une insomnie
Le jour se lève pour de longues heures d’eenui ;
Le ruisseau de la pluie sillonne les pavés
Le roulement du vent ramène la clarté.
—
—
—
Ce fut l’apparition de l’aube de midi
Partition du soleil
A l’orgue des étoiles
Accordée au diapason
Infini des grands cèdres
Résonance des tempêtes
A décorner la Lune
Troublant les lourds silences
Au creux de l’abbaye
Rues dépeuplées
De la mer.
Saisons de Beauce
Ciel de tourmente
De lourds cumulus heurtent et bousculent
Un horizon vert sombrent
Montagnes mouvantes
Escarpements changeants aux crêtes monticules
Baignées de pénombre
Sous le vent, ondulantes,
Les têtes des épis, en blondes virgules
Vainement se dénombrent
Lentes ailes tournantes
Le moulin inlassablement farine les granules
De la plaine sans ombre
Bourrasques violentes
L’Aquilon en tempête brutalement véhicule
Des nuées sans nombre
La lourde et menaçante
Chape de leur nuit en roulant déambule
Sur des labours sombres
Et la neige, tombante
Recouvre et protège du gel les plantules
Enfouies en la terre d’ombre
Lors la bise sifflante
Éparpille au plus loin les fétus libellules
De meules en décombres
Et large et vivante
Fertile, généreuse aux céréales et fécules
C’est la terre du nombre
C’est la Beauce mouvante
Qui s’étend, ondoyante, sous la haute férule
D’une cathédrale d’ombre.
Mémoire du Grimoire
—
Le Grimoire s’est ouvert
Seul
Pages volantes
Éparses
Formules incantatoires
Pérennité de la Kabbale
Livre obscènement offert
Pages pâlissantes
Dont la mémoire s’efface
En nous
Force de l’Occulte
Gravitations de l’atome
Cellule du Puissant
Et vaincre
L’ultime possession
Terre envoûtée
L’inexorable malédiction
S’accomplit
De la nuit des Temps
A la nuit des Temps
Mémoire oubliée
Mémoire perdue
Grimoire
Escalator
Ribambelle
Foule
Multitude
De partout
Montent les morts
En sursis de la vie
En rangs serrés
Rigides
Automates
Ils gravissent les escaliers
Jaillis
Du Monde de la Terre
Le même costume gris – clair
Habille
Leurs corps identiques
Leurs jambes
Ont le même mouvement
Mécaniques
Leurs bras tombent
Droits
Le long du corps
Cheveux bien coiffés
Fixant l’horizon
Sans visage
L’escalier monte
Monte
Monte
L’escalier qu’ils gravissent
Marche
Après marche
Vers leur éternité
Eux, jaillis du Néant
Retournent au Néant
Sans fin
Sans fin
Sans Fin.
Flops
I
Elans
Dans la musique
Les éclats
Le bruit
Elans
D’une nuit
Voix
criantes
Cassées, brisées
Dans le tumulte
Enrouées
Voix
De bruit
Matins
De blonde ivresse
De brune tendresse
De langueur
Rousse
Et douce
Matins
D’évanescents chagrins
II
Macération de l’heure
Nauséabondes émanations
De l’alcool
Nuées bues
Buées nues
Bues et nues
Vapeurs
Navrantes couleurs
De l’aurore
Fuite au matin
Sur le chemin
De l’oubli incertain.
Point
Rejoindre le point
Joindre ce point au suivant
Poursuivant
Point.
Point suivit
Poursuivit
Point sensible
Devenu cible
Point mort
Point fort.
Atteindre le point
A point
Virgule
Point-virgule
Et dans le point
Le poing
Et dans le poing
Le beurre noir
Du poing
Dans la poire
Point noir de la flibuste
Point de la mort
Fatal et auguste
Point de salut
Et salut
Point.
Simon et Sarah
Simon s’en fut
rêvant
Simon s’en fut
Pleurant
Sarah partit
Chantant
Sarah partit
Riant
Simon la vit
Simon sourit
Sarah courut
Sarah disparut
Au bout de la rue
Simon cria “Sarah”
Et resta planté là
Son cœur éperdu
Soudain lachà
Et Simon mourut
Là
—
Le rêve du Flamant Rose
Paisible, je flotte au creux d’un replis d’onde
Mollement bercé par l’espace infini, loin du monde
Aspiré, je suis en autre place
Emplie de verts, de bruits étranges, d’émois, de glaces
La pesanteur ne compte plus,
Libre de toute entrave, nu
Oiseau ailé
Envolé.
Autour de moi tourbillonnent pêle-mêle,
Les plus douces couleurs, lambeaux de feuilles d’épaves
Planètes, étoiles… et Cybèle
Qu’Apollon parcourant la Voie Lactée appelle
Dans la fraîcheur des bois et des mousses et grave
Sur un tronc de son glaive.
Éperdu, tentant de m’accrocher, d’arrêter ce fol tournoiement
Je m’enfonce encore plus profondément
Chacun de mes mouvements accentue l’éloignement
Du sol terrestre
Me défenestre
Étonné, je vois le ciel m’envahir
Comme une toupie que son axe ne peut retenir
Je tournoie su, cul pardessus tête
Dans le vide cosmique des comètes
Et disparais, lentement
Astre perdu dans le firmament.
Le silence tout à coup m’envahit.
Un claquement sec retentit
La lumière verte s’éteint. Ombre
Les posters bariolés sombrent
Dans le rose
De la lampe d’ambiance
Bras tendu, je relance
La chaîne Hi-Fi
Et dans la nuit
De nouveau éclosent
Les premières notes d'“Echoes”.
Piécettes
Eté
Carrière brillante
Porphyre éclaté
Le soleil embrasé
Rend ta peau brûlante
Bouger
Rien ne vient
Rien ne va
Tout s’en vient
Tout s’en va
Ne sachant rien
Je reste là.
Idem
Autrement
Autre chose
Autrepart
Autre
Mais toujours
Semblable.
Pluie
Un voile a caché la Lune
Et tu es partie ma brune
Tu as eu peur de la puie
Reviendras-tu aujourd’hui ?
Mer et forêt
Le vent donne à la forêt
La houle de la mer
Qui comme la forêt
Est aujourd’hui teintée de vert.
Ile flottante
Ils rament
Sous le viol des pagaies
La mer roule,
Ses hanches ondulent,
Soulèvent l’embarcation.
L’écume aux relents enivrants
Griffe les dos
Sous l’effort ahanant.
Ils rament.
Ils rament
Les cimes des palmiers
Apparaissent et plongent
A l’horizon.
Ils rament.
L’île d’eux s’éloigne.
Ils rament
Poursuivent l’île fuyarde
Ils rament
L’île au loin les regarde
En riant.
Elle a levé l’ancre l’île
Alors qu’ils pêchaient les perles ;
Elle s’enfuit, l’île
Devant les pilleurs de perles ;
De toute sa forêt,
Tendue comme une voile,
L’île s’est enfuie,
Guidée par les étoiles.
Soudain l’île tournoie
Sa ronde devient folle,
Dans le ciel qui rougeoie
Et l’on entend les voix
Des oiseaux affolés
Qu’emporte le maelstrom
Tourbillon emballé
Qui aspire les hommes
Dans son manège sans fin
Éternel chemin
Ils rament
L’île enfin les attend ;
L’île avec ses fruits d’or
Ses fruits et son serpent ;
Un serpent qui endort
Ceux qu’ils touche en tombant.
Ils rament
L’île devant eux ouvre un chemin beant
Ils rament
Ils rament
Ils rament
Et tombe le serpent.
Esquisse
Rendre facile
Un amour fragile
Un amour gracile
(Malhabile)
Rendre tendre
Sans trop attendre
Sans trop s’y étendre
Sans trop y prétendre
Un amour de cendre
Rendre encore présent
Un amour absent
Un amour cessant
Un amour déliquescent
(Stressant)
Rendre sa force
A l’amour écorce
A l’amour entorse
A l’amour divorce
Et raviver sur l’heure
Toutes les couleurs
D’un amour qui pleure
D’un amour qui meurt
D’un amour douleur
Sans cœur
Amour poignardé
Amour condamné
Sans vérité
Amour qui attend
Son amour latent.
Là, la lande
J’avais quitté la bande
Pour courir dans la lande
J’avais dans la cervelle
La note universelle
Je pensais bien la tenir
Là, dans mon souvenir
Elle était ténue, si ténue
Entre mes doigts tenue
Pour ne la perdre pas
Je l’avais glissée là
Tout au fond, bien au fond
De mon joli clairon
Mai voilà que « couac »
Elle y fit son bivouac
Et pour n’en pas sortir
Se mit fort à grossir, grossir
J’ai beau secouer, secouer
Elle ne veut pas tomber
Je l’ai appelé, caressé, sifflé
J’ai dans le clairon soufflé
Mais elle a fermé l’embouchure
Comme une vulgaire épluchure
Et puis enfin elle arrive
Toute mouillée de salive
Et comme elle s’est au sol
Entourée du Fa, du Ré, du Sol
Avec le Si aussi sur la portée
Pour se sécher, je les ai emportées
Mais voici que les malignes
S’envolent de mes lignes
Alors pour ne pas les effaroucher
Mon clairon sur l’herbe ai couché
Puis doucement j’ai pris mon violon
Comme un filet à papillons
Pas pour les mettre en cage
Mais pour qu’elles restent sages
Et comme à de petits singes
Leur ai mis des pinces à linge
Pour que sur la portée
Les ayant rapportées
Elles composent sagement
Mon air doux et entraînant.
Le Passager
Un homme est venu
Traînant la longue chaîne
Un homme est venu
Portant la lourde peine
Un homme est passé
A travers le vallon
Un homme est passé
A longé les maisons
Et nous avons vu l’homme
Pas lourd et dos ployé
Et nous avons vu l’homme
Passer dans la cité
Avons regardé l’homme
Que sa charge courbait
Avons regardé l’homme
Qui sous la chaîne peinait
Et l’homme de ses yeux lourds
A porté son regard au niveau des fenêtres du bourg
Et l’homme aux yeux si lourds
Vit trembler les rideaux des fenêtres du bourg
A chaque pas de l’homme
Courbé dessous sa charge
A chaque pas de l’homme
S’alourdissait sa charge
Et plus l’homme avançait
Tirant, traînant la chaîne
Et plus l’homme avançait
Plus grandissait la chaîne
L’homme aux muscles saillants
Demi nu
L’homme aux muscles saillants
Lentement disparut
Et nous sentions nos cœurs
Peu à peu s’alléger
Et nous sentions nos peurs
Avec lui s’éloigner.
Seule, cliqueta longtemps
La longue, longue chaîne
Sous la Lune montant
Au-dessus de la plaine.
Nous nous sentions légers
Dans nos âmes et nos coeurs
Nous nous sentions légers
Nous croyions au bonheur
En passant par chez-nous
L’homme avait emporté
Nos haines, nos courroux
Et nos iniquités.
II
Ainsi nous l’avions vu
Chez nous il est passé
Ainsi nous l’avions vu
Le Proscrit, le Damné
Ses épaules chargées
De nos crimes immondes
Ses épaules chargées
Des désordres du Monde
En tirant après lui
Nos peines, nos chagrins
En tirant après lui
La boue souillant nos mains
Et la ville délivrée
Renaissait à l’éveil
Et la ville délivrée
Se sentait au soleil
III
Nous l’avons vu passer
Mornes, indifférents
Nous l’avons vu passer
Sans l’aider un instant
Alors l’homme s’arrêta
S’asseyant sur les monts
Alors l’homme s’arrêta
Et toisant le vallon
Il étendit la main
Sur la cité ingrate
Il étendit la main
Pour que l’orage éclate
Et de sa voix roulante
Écrasant les maisons
Et de sa voix roulante
Lança sa damnation
Soulevant son fardeau
Le jeta sur la ville
Soulevant son fardeau
Il en noya la ville
Ramenant un à un les maillons de la chaîne
Les lova en muraille autour de la cité
Ramenant un à un les maillons de la chaîne
Les souda en muraille autour de la cité
Sous le ciel obscurci
Nos veines se glacèrent
Sous le ciel obscurci
Nos yeux se dessillèrent
IV
Nous errions dans les rues
Dans la crainte et l’éveil
Nous errions dans les rues
En absence de sommeil
Au-dessus nos têtes
Les nuées grondantes
Au-dessus de nos tête
Une nuit oppressante
Et la haute muraille
Où nous brûlions nos mains
Et la haute muraille
Nous garda en son sein.
Route de nuit
Route luisante
De nuit et d’eau
Au bout de la nuit
Un rai blanc, laiteux
Fugitive lumière
Eclair
Fenêtre brillante à l’aube
Et derrière les rideaux
Fenêtre de la nuit
Phares-codes-phares
Route luisante
De nuit etd’eau
Ombres d’arbres
Silhouettes de nuit
Fenêtre allumée
Lumière jaune
Lumière blanche
Disparaissant derrière
Le virage et la voiture
Nuages
Roses et ors
Et feux
Route luisante
De nuit et d’eau
Au bout de la nuit
Un rai grisâtre
Un rai gris-bleu
Jets d’eau
Sous les roues
Va et vient d’essuie-glace
Insectes écrasés
Route luisante
De nuit et d’eau
Pare-brise maculé
Sali
Opaque
Fenêtre encore
Et derrière,
Les rideaux
Vivement soulevés et rabattus
Au bout de la route
Luisante
De nuit et d’eau
Fuite
Fuite
Fuite...
Un soir un train
Le train s’est arrêté
C’est en rase campagne
Une lumière l’a attiré
Et sa marche accompagne
Le flonflon étouffé
D’un bastringue sans charme
Où il est aspiré
Par d’étranges ombres diaphanes
La mazurka balance
Ronds de jambes, buste droit
Automatique danse
Regard fier et froid
Cavaliers sautillants
En assauts d’élégances
Cavalières baladant
Leurs éphémères fragrances
Cheveux blonds, bras arrondis
Sur des tailles en diamants
Provoquant quelques plis
Aux étoffes et rubans
Il se laisse entraîner par le pas
Il se laisse guider, inconscient
Son train n’attendra pas
Il danse, sautillant
Sa cavalière, l’enchaîne par ses appâts
Il la suit, trébuchant
Ne sachant où il va
Dans la nuit, le néant
Jusques à son trépas.
Rien que ça
Langueur de l’instant
Longueur du moment
Blancheur du vêtement
Pâleur des traits blancs
Inquiétude de l’âme
Lassitude des drames
Platitude du blâme
Rectitude du gendarme
Fulgurance du geste
Prépondérance du ceste
Protubérance de soubreveste
Permanence du palimpseste.
Haïkus
I
Course avant la nuit
Dévalant la colline
La fuite du temps
II
Resté encore seul
Recevoir une lettre
Et ne pas l’ouvrir
III
Debout sur le seuil
S’appuyer à la porte
Espoir de facteur
IV
Chute des feuilles
L’oiseau frissonne et s’ébroue
La crainte du gel
V
Barque en dérive
Le pêcheur en attente
Manque le saumon
VI
Pluie de novembre
Et le mûrier sous le gel
Soudain dénudé.
VII
Sur le pilotis
De la cabane haut perchée
Carrelet plonge
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Fil
Un fil de la Vierge, de rosée emperlé,
À la barbe de mon visage
Est venu s’accrocher
Un fil de la Vierge de rosée emperlé
Promène son araignée
Vers d’autres paysages
À la barbe de mon visage
Un fil de la Vierge de rosée emperlé
est venu s’accrocher
Vers d’autres paysages
Un fil de la Vierge de rosée emperlé
promène son araignée
De rosée emperlé un fil de la Vierge
À la barbe de mon visage
Vers d’autres paysages
De rosée emperlé un fil de la Vierge
Promène son araignée
Rosée du matin
Paysage lointain
Araignée vagabonde
Découvrant le monde
Mais au passage
Se colle à mon visage
Se mêlant à ma barbe
Se faufile et s’attarde
Oubliant le lointain
Oubliant son chemin
S’égare dans mon cou
Et se glisse au-dessous
Tandis qu’une pichenette
De ma main, la rejette
Ne gardant emperlée
Qu’une goutte de rosée.
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Léger et cotonneux
Sous un soleil
D’automne
C’est un ciel toujours bleu
Qui s’émerveille
S’étonne
Et voici que par jeu
Tu n’entends le réveil
Qui sonne
Tu dis « Encore un peu »
Je reprends mon sommeil
Ronchonne
Léger et cotonneux
J’entends à mon oreille
Tu ronronnes
Je sens ce que tu veux
Ta caresse m’émerveille
Luronne
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Presque cinquante ans déjà
Et leur amour est là
Encore
Moins celui du corps
Que le sentiment
De s’être aimés vraiment.
Les yeux derrière les carreaux
Sous la dentelle du rideau
Juste à peine soulevée
Ils regardent passer les années
De crainte que ne fuie
Reste de souffle et de vie
En respiration brève
L’espérance du rêve
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Le fleuve large et majestueux
Roule ses eaux en lourdes nappes
Devant lui s’étend l’océan brumeux
Dont la mouvante lumière s’échappe
Du fleuve les eaux tumultueuses
Bues par la large houle
S’y mêlent en volutes boueuses
Englouties par sa vaste goule
L’eau douce s’ensaline
Et dans les profondeurs se perd,
Prend les tons bleu-marine
De l’estuaire, devant elle ouvert.
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