• Patrice Fougeray-Ertveld Vies Secrètes Nouvelles

    Menus plaisirs

     

     

     

     

    Je le savais ! Je le savais. Je le savais et j’y pensais, assis sur la margelle du puits. La poulie restait nue, sans corde, suspendue au-dessus d’une ouverture recouverte d’une plaque d’acier, pour empêcher que l’on chutât à l’intérieur. Creusé au milieu du village, il avait alimenté de son eau fraîche et pure les habitants dont toutes les maisons étaient à présent connectées au réseau d’eau. Le captage puisait à la même nappe. Un robinet permettait à qui le souhaitait, de se désaltérer tout en profitant de la vue sur l’église voisine, trapue, aux arcs romans, au clocher court, aux vitraux étroits dispensant une chiche lumière bleutée sur les travées de la nef. Un caquetoire couvrait l’étroit parvis de ses colonnes et de ses ardoises en pente. La lourde porte grise, cernée de personnages grotesques, était surmontée d’une rosace aux vitraux bleu-vert où trônait la Sainte Famille. Elle apportait à la courte nef un complément de lumière. Aux abords, on avait abandonné d’anciens sarcophages de pierre, retrouvés lorsque l’on avait transféré l’ancien cimetière pour aménager un petit parc promenade entre l’église et le puits. De chaque côté de la rue des parterres fleuris égayaient le cheminement.

    Je m’étais assis alors que je revenais d’une promenade qui m’avait conduit aux alentours du village, entre prés et forêt. Au passage je m’étais arrêté à la boulangerie pâtisserie où j’avais acheté deux tartelettes aux mirabelles à partager au dessert.

    Mais…

    Mais les bonnes intentions ne sont pas toujours suivies par les actes.

    Je le savais. Je le savais. Je n’aurais pas dû m’asseoir sur la margelle du puits.

    Tout en regardant les maisons aux colombages posés sur des murs aux briques rouges, les arbres du parc ombrageant les massifs aux formes artistiques, doucement chauffé par le soleil, les tartelettes furent lentement dégustées, arrosées d’une gorgée d’eau, bue dans les mains formant une coupe, au robinet du puits. Ma promenade avait porté mes pas jusqu’au sommet du coteau, au travers des rangs de vigne. À cette époque, on faucillait les gourmands et l’on épamprait afin de favoriser le grossissement et la maturité des grappes en formation. Au sommet l’on avait conservé un bois d’où émergeait, énorme, majestueux, un chêne que l’on prétendait presque millénaire. Ce serait le même que celui représenté sur l’un des vitraux de l’église où, dit-on, un évêque devenu saint, aurait donné sa bénédiction aux paysans assemblés pour l’entendre. A quelques pas, la source d’eau claire clapotant entre les racines de l’arbre aurait également été bénie par le futur saint et serait devenu miraculeuse, soulageant les douleurs des arthritiques. Le ruisselet né de la source dévalait la pente, formant par endroits de mini cascades lorsqu’une roche lui barrait le passage. Il traversait le village, grossit par d’autres rus, mais s’il alimentait le puits, son eau n’était plus miraculeuse et seules, sa pureté et sa fraîcheur, avaient été préservée dans son cheminement.

    J’avais gravi le coteau par un chemin tracé et emprunté par les habitants de la région lors de leurs déplacements. Ils se rendaient à leurs lieux de travail ou au village voisin et l’avaient empierrée et rendu carrossable pour leurs charrois. Aujourd’hui leurs tracteurs les défoncent souvent, mais des remorques de gravats comblent les ornières les plus profondes. Pour le retour, j’avais choisi de suivre le cours d’eau dans sa descente. A plusieurs reprises, mon bâton avait su m’empêcher de chuter lors de glissades sur les cailloux du sentier, dont mes chaussures de marche n’avaient pu me garantir. Arrivé au bas de la pente, je me suis retrouvé au milieu d’un petit marécage, impossible à contourner et je m’étais enfoncé jusqu’aux chevilles dans les trous d’eau, cachés sous les herbes et la mousse. Lorsque j’avais pu regagner le chemin, j’avais retiré mes chaussures pour en vider l’eau, essorer mes chaussettes et prendre le tout en main pour marcher pieds nus sur l’herbe du chemin, presque aussi douce et moelleuse qu’une moquette, même si, parfois, s’y dissimulaient une pierre ou un chardon à la pointe ou aux épines agressives.

    Parvenu à l’entrée du village, je m’étais assis une première fois sur la margelle du puits. Au robinet, j’avais lavé mes pieds avant de remettre chaussettes et chaussures. Encore humides, mais redevenues portables sans bruit de succion. De retour de la boulangerie, tout à mes pensées, j’avais, sans m’en rendre compte, mangé avec un bonheur sans retenue, les deux tartelettes. Alors je retournai pour en acheter deux autres. Juste à temps, avant que la porte ne se ferme, immédiatement derrière mon dos. Mes deux tartelettes soigneusement emballées, se balançaient nonchalamment au bout de mon bras.

     


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